Homélie
Jubilé du XIIème Centenaire du Chapitre Cathédral
Cathédrale
14 mai 2017
Dans l’Annuaire du diocèse de Tournai de 2017, à la page 22, nous avons la première partie de la liste des évêques de Tournai.
J’ai cherché qui était évêque en 817. Cela me rend perplexe. En effet, le premier évêque est Théodore, date inconnue ; le deuxième est Eleuthère, après 496 et mort vers 531 ; les successeurs sont soit déclarés attestés, soit affublés de l’expression date inconnue.
Windimar est attesté en 814-817. Son successeur, Ragenarius, reçoit les dates de vers 825-829.
Ma première réflexion est celle-ci : les évêques de l’époque ont-ils pris connaissance qu’un chapitre de chanoines venait d’être créé.
Ma deuxième réflexion est celle-ci : qui sait depuis quand il y a des chrétiens à Tournai ? En effet, d’après les résultats des fouilles entreprises sur le site de la Cathédrale actuelle mis en concordance avec les textes authentifiés qui relatent les faits du premier millénaire de notre ère, nous avons affaire à un récit sur la prédication de saint Piat à Tournai dès la fin du IIIème siècle, qui a comme témoin archéologique une première basilique chrétienne de la seconde moitié du Vème siècle, l’actuelle église Saint-Piat.
Les premières attestations d’évêques dans le nord de la province de Belgique seconde, à laquelle appartenait Tournai, remontent au milieu du IVème siècle. La présence d’une communauté chrétienne dès avant le milieu du Vème siècle est donc certaine. N’oublions pas que Clovis, fils de Childéric Ier, est né à Tournai vers 466. Roi des Francs en 481, il est baptisé à Reims par l’évêque Remi vers 496.
Il faut attendre le milieu du VIème siècle pour connaître un évêque de Tournai : Agrescius, représenté au Concile d’Orléans de 549 par son diacre Vitalis et présent en personne au Concile de Paris de 552. Grégoire de Tours (538-594) mentionne qu’un évêque assista à Tournai en 577 au baptême de Samson, fils du roi Chilpéric Ier. L’auteur de la vie en prose de saint Médard (mort avant 560), composée au début du VIIème siècle, mentionne la présence à Tournai, à l’époque de saint Médard, d’un évêque nommé Eleuthère qui pourrait avoir été prédécesseur d’Agrescius.
Dans la Vie de saint Colomban, écrite vers 642, Jonas de Bobbio mentionne, parmi les disciples de l’Irlandais Colomban devenus évêques, Achaire « évêque de Vermand, Noyon et Tournai ». Il s’agit de la première attestation connue de l’union des deux diocèses de Tournai et de Noyon, qui va durer jusqu’en 1146.
A partir du IXème siècle, les sources se font plus prolixes au sujet de Tournai et de ses évêques. Le diplôme de l’empereur Louis le Pieux donné en 817 montre que l’évêque Wendilmarus (le Windimar de l’Annuaire diocésain de 2017) avait envisagé d’agrandir l’enclos canonial (claustrum) et avait, pour ce faire, demandé à l’empereur de lui concéder des terrains appartenant au fisc. Les prescriptions du Concile d’Aix-la-Chapelle de 816 demandaient aux chanoines des cathédrales de vivre en communauté, d’avoir un réfectoire et un dortoir commun ainsi que d’enclore ces bâtiments, ce qui impliquait de nouvelles constructions et donc un agrandissement de l’emprise de l’enclos canonial. Cela signifie que le Chapitre a comme missions : un hôpital, une école, un cloître. Le diplôme de Charles le Chauve donné en 855 peut être considéré comme l’acte de naissance officiel du chapitre cathédral : à la demande de l’évêque Immon, le souverain confirme aux chanoines de l’église Sainte-Marie de Tournai la possession d’une villa, de marais en Flandre et de terres en Brabant : il leur attribue annuellement 120 muids, soit 300 hectolitres, de vin de Noyon. Ces biens constituent la mense des chanoines desservants l’église Sainte-Marie, dont le nombre ne doit pas dépasser trente. C’est aussi dans ce diplôme qu’on trouve la première attestation de la dédicace de la Cathédrale à sainte Marie.
Les actes de Louis le Pieux, en 817, et de Charles le Chauve, en 855, montrent l’existence à Tournai d’un clergé cathédral propre, séparé de celui de Noyon, qui devient, avec l’instauration du Chapitre, autonome vis-à-vis de l’évêque. Cette instauration symbolise la permanence d’une Eglise, d’un diocèse, propre à Tournai, malgré l’union avec Noyon.
Ce n’est pas tout. Il semble attesté que les évêques ne résidaient à Tournai que par intermittence. Cependant, malgré tout ce qui avait été publié jusqu’ici à propos des évêques Baudouin, décédé en 1068, et de son successeur Radbod II, décédé en 1098, publications qui racontaient que ces deux évêques de Noyon-Tournai avaient été inhumés soit à Noyon, soit près de Paris, les fouilles récentes de la Cathédrale ont prouvé qu’ils étaient bien inhumés ici, en ce lieu, près de l’autel de l’époque.
Cette situation pourrait expliquer que le Chapitre des Chanoines de la Cathédrale de Tournai ait, envers et contre tout, voulu manifester l’indépendance du diocèse de Tournai vis-à-vis de l’évêque de Noyon-Tournai. Les Chanoines du XIIème siècle seraient à l’origine de la légende de saint Eleuthère, une deuxième vie, qui ajoute plusieurs événements à la première vie. D’après les Chanoines du XIIème siècle, Eleuthère a eu des relations excellentes avec les papes, il était d’une parfaite orthodoxie, et il a authentifié les reliques de saint Etienne et de sainte Marie l’Egyptienne présentes à Tournai et censées avoir été ramenées de Rome par Eleuthère. Bref, avant la séparation du diocèse de Tournai du diocèse de Noyon en 1146, le Chapitre a fait beaucoup pour montrer l’identité profonde, la spécificité du diocèse de Tournai dans l’Eglise universelle. C’est grâce à saint Bernard et au doyen du Chapitre Letbert le Blond que le pape Eugène III, ancien moine de Clairvaux, décrète la séparation de Noyon et de Tournai. Il confie le diocèse de Tournai à l’abbé Anselme de Saint-Vincent de Laon, qui entre dans la ville de Tournai entouré du roi de France Louis VII et du comte de Flandre Thierry d’Alsace.
Avant la séparation de Tournai et de Noyon, les évêques avaient une charge pratiquement incompréhensible quand on la compare avec celle exprimée par le Concile Vatican II. Ainsi, Baudouin, évêque de 1044 à 1068, fait partie du conseil royal et de la garde rapprochée du Roi de France Henri Ier. Il est un relais du recrutement de l’armée royale et se charge à l’occasion de la garde de prisonniers politiques. Il accompagne le jeune Roi Philippe Ier au moment de son sacre à Reims, en 1059. Il fait partie de la suite des archevêques de Reims et fonde, dans le diocèse de Tournai, la collégiale de Harelbeke ; il consacre la nouvelle église Saint-Pierre à Lille et la nouvelle abbatiale Saint-Pierre à Gand.
Radbod II, évêque de 1068 à 1098, n’est pas, comme Baudouin, un homme d’Etat attaché au Roi de France, mais un pasteur qui n’a pas cessé de reconnaître les reliques dans son diocèse et de rédiger des œuvres littéraires et spirituelles. C’est à lui que nous devons la procession de Tournai, dont la première sortie est de 1092. Au début des années 1090 surgit une crise à la Cathédrale de Tournai. Un tiers des Chanoines veut vivre autrement de l’Evangile, sous la conduite de l’écolâtre Odon. Réfugiés à Noyon, les Chanoines sont rappelés par l’évêque Radbod II, qui leur assigne un lieu aux abords de la ville de Tournai. C’est la naissance de l’abbaye bénédictine Saint-Martin.
Les archives du Chapitre cathédral conservent plusieurs copies anciennes d’un diplôme mérovingien par lequel le Roi des Francs Chilpéric concède à l’évêque de Noyon et de Tournai Chrasmar, le 1er mai 716, tous les péages qui se lèvent à Tournai, au bénéfice exclusif de la Cathédrale et des chanoines qui y célèbrent l’office divin. Ces copies sont des faux fabriqués de toutes pièces. En fait, les Chanoines ont rédigé un texte juridique en bonne et due forme entre 1130 et 1178 pour assurer leur puissance temporelle.
Les études historiques, enrichies de manière considérable par les fouilles de la Cathédrale toujours en cours, sont illuminées par les recherches du Chanoine Jean Dumoulin et du Professeur à l’UCL Jacques Pycke, archiviste de la Cathédrale. Ce dernier a longuement étudié le développement du Chapitre de la Cathédrale de Tournai. Son œuvre reste un élément indispensable pour entrer dans la mission du Chapitre de Tournai.
Lorsque le Code de droit canonique de 1983, qui reprenait le Décret de Vatican II sur la Charge pastorale des évêques, a donné de nouvelles orientations à la mission du Chapitre de la Cathédrale, mon prédécesseur Jean Huard a signé les nouveaux Statuts du Chapitre en 1986. C’est en raison de quelques questions difficiles laissées en suspens, en particulier sur la mission de la Fabrique de l’église cathédrale, et en raison des questions suscitées par la restauration de la Cathédrale, que j’ai demandé de revoir les Statuts du Chapitre, qui ont été finalement promulgués en 2010. Quatre axes s’en dégagent :
- La prière pour le diocèse, manifestée dans la liturgie eucharistique quotidienne, la célébration du sacrement de la réconciliation, l’adoration eucharistique, la liturgie des Heures, ainsi que dans l’accueil des pèlerins à Notre-Dame
- L’investissement dans l’initiation chrétienne sacramentelle et l’intelligence de la foi.
- L’investissement dans la culture : conservation du Trésor et de la Cathédrale, manifestations culturelles en tout genre, comme Musica et Syrinx, les concertes d’orgue ; participation aux initiatives venant des institutions et des associations extérieures à la Cathédrale
- L’investissement dans la diaconie : l’accueil des pauvres et l’écoute des blessés de la vie
Une institution d’Eglise subsiste quand elle accepte de suivre l’évolution de la vie ecclésiale, manifestée de manière éminente dans les Conciles, et quand elle voit de manière positive la recherche du bien commun de la société civile et politique.
Sur ce point, je voudrais insister. On peut, comme membre de l’Eglise catholique, chercher perpétuellement des privilèges, des financements, en demandant aux pouvoirs publics de donner des subventions.
On peut aussi, comme membre de l’Eglise, proposer des initiatives qui vont dans la recherche du bien commun de la société, en fonction des besoins du moment.
Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est de nous laisser porter par le mystère pascal du Christ, qui nous conduit vers le Père, en tant que chemin, vérité et vie, comme indiqué dans l’évangile qui vient d’être proc lamé.
Nous sommes invités à faire de notre vie une offrande à Dieu, nous qui sommes passés des ténèbres à la lumière par le Christ mort et ressuscité. Nous sommes des pierres vivantes d’un édifice spirituel, dont le Christ est la pierre angulaire.
Quand la première communauté des disciples du Ressuscité a connu un problème, les apôtres ont établi sept personnes dans une charge nouvelle. Il est exact que tout au long de son histoire, l’Eglise a encouragé l’aspect synodal du ministère. Merci au chapitre de Tournai d’en témoigner et de nous aider à témoigner de l’Evangile dans la société actuelle.
Dans un édifice reconnu comme patrimoine exceptionnel de l’UNESCO, nous pouvons, comme chrétiens, apporter notre spécificité afin qu’il rayonne de la lumière de l’Evangile dans notre société, quelle que soit l’association dont nous sommes les membres ou les militants.
+ Guy Harpigny,
Evêque de Tournai
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