La traversée du désert du covid-19 au Pays du Matin Calme
Laurence Vasseur, missionnaire « Serviteurs de l'Evangile » en Corée du Sud, témoigne de ce que sa communauté et elle ont vécu du début du Carême au temps pascal.
D'abord quelques mots sur le diocèse de Daejeon et ce qui anime votre présence en Corée depuis 2006...
Le diocèse de Daejeon où nous vivons notre mission, est un des 16 diocèses de Corée du Sud. A sa création en 1948, il ne comptait que 13 paroisses, 18 prêtres et environ 18.000 chrétiens. Actuellement, il y a 142 paroisses, 380 prêtres et un nombre de fidèles d'environ 330.000 personnes. Notre diocèse a eu la grande joie d'accueillir le Pape François à l'occasion des Journées Asiatiques des jeunes en août 2014.
C'est Mgr Lazaro You (You Heung-Sik) qui nous a reçues dans le diocèse en avril 2006, spécialement pour travailler dans la pastorale des jeunes et missionnaire. Même si le nombre de chrétiens et de prêtres semble élevé, la réalité de la vie de la foi ici aussi commence à connaître une décroissance rapide. Il y a une « urgence de nouvelle évangélisation » surtout auprès des jeunes, adolescents et étudiants, et auprès des jeunes adultes, jeunes familles. Voilà notre principal « champ dans la vigne du Seigneur » !
Missionnaire en Corée depuis plus de 10 ans, comment avez-vous vécu le temps de carême dans votre diocèse au temps du Covid – 19 ?
Ça a été bien sûr un carême tout à fait différent ! Dès avant le mercredi des cendres, nous n'avions déjà plus de messes publiques. Etant tout à côté de la Chine, dès janvier, les premiers cas de contagion de coronavirus se sont présentés chez nous. Et le dimanche avant de commencer le carême a été la dernière messe en paroisse (on devait y participer avec le port du masque obligatoire, la vérification de la température, etc.).
Une remise en question profonde
Alors très vite, vu que nous commencions un temps liturgique si spécial et sans pouvoir se rencontrer, toutes sortes d'initiatives (de la part des prêtres des paroisses, des communautés, des groupes) sont nées pour animer la foi et l'espérance des chrétiens ; certains curés célébraient l'eucharistie quotidienne et la publiaient sur YouTube, d'autres se réunissaient pour prier « ensemble » chacun chez soi via les réseaux sociaux...
Alors, un carême vécu comme cela a été pour beaucoup de personnes une remise en question profonde de leur foi, du sens de leur participation dans l'Eglise, la paroisse, les activités. Certains nous ont partagé qu'ils se sont sentis en quelque sorte libérés d'un poids, plus libres puisque « ne devant plus aller à ... », mais avec cette question dans le cœur : finalement, croire en Dieu, avoir la foi, être chrétien, qu'est-ce que ça change dans ma vie, réellement ? Et nous pensons que cette traversée du désert a été une purification de la foi pour beaucoup de Coréens (et pour nous aussi, bien sûr !). Une purification nécessaire, une réelle occasion de conversion, ce qu'est réellement le carême !
Votre travail pastoral a-t-il été réduit ? Comment avez-vous poursuivi autrement cette présence « missionnaire » dans un pays en quarantaine ?
En Corée, tout recommence avec le printemps ! En mars, c'est la rentrée scolaire et pastorale. Alors que nous avions élaboré tout notre programme pastoral et missionnaire de 2020 (de mars à février 2021) et étions prêtes à nous lancer à vivre tout cela ..., notre élan a été radicalement stoppé dès la fin février !
Du jour au lendemain, plus de messes en paroisse, mais surtout plus aucun groupe, plus aucune activité chez nous, aucune rencontre avec les jeunes, plus aucun temps de formation, de récollection avant Pâques, etc. Tout cela qui justement est la plus grande part de notre « vie active » ici !
Que faire alors ? Après le premier choc de la réalité du covid-19, la contagion massive des premières semaines ici et le « stop » complet de toutes les activités prévues, peu à peu l'Esprit Saint a éclairé la route à suivre pendant ce « double désert », celui du Carême et le désert des rencontres directes ...
Missionnaires, nous le sommes à tout moment ; toute la vie est mission ! Alors de nouveaux moyens de la vivre se sont ouverts « en ligne » pour ne pas perdre le contact de Vie et d'espérance avec les jeunes surtout.. Durant les 40 jours de Carême, notre sœur coréenne a préparé chaque jour une petite méditation en audio, envoyée à tous nos contacts) pour alimenter les cœurs de la lumière de l'Evangile. Cela a beaucoup aidé les personnes à persévérer dans ce temps où les repères habituels se perdaient peu à peu ...
Avec les technologies modernes
On s'est demandé comment accompagner les adolescents et étudiants qui participent habituellement à nos activités durant ce temps si spécial, angoissant pour certains par rapport à leur avenir proche (par ex. ceux qui doivent passer le « bac » coréen pour l'entrée à l'université et ont pris déjà tant de retard) et plus lointain : dans quel monde devrons-nous vivre, si un virus invisible a secoué jusque dans ses certitudes et sécurités les plus grandes nos sociétés d'hyper développement économique ? Y aura-t-il du travail pour nous ? A quoi bon si tout semble être si fragile ?
Avec eux, nous avons eu des temps de prière et de partage ensemble en ligne ; et avec ceux qui le voulaient, la prière du soir via Facebook live. Et puis peu à peu, puisque nous n'avons jamais été en confinement total comme chez vous, il nous a été possible de rencontrer les personnes une par une, ou deux par deux. Des rencontres de vie à vie, au cœur de cette pandémie, où le Seigneur se rendait présent « au milieu de nous ».
Et puis, une autre mission a été d'aider nos frères de Corée à élargir le cœur à la dimension mondiale de la pandémie. Puisqu'en Corée la situation du covid-19 a été très bien gérée (grâce aux tests massifs, au port du masque, au suivi des personnes positives et de leur entourage via les données mobiles, etc.), pour beaucoup de personnes finalement la réalité grave du coronavirus est restée quelque peu éloignée d'eux. Bien sûr, une fois que la pandémie s'est étendue si terriblement dans nos pays d'Europe, nos amis ne cessaient de demander des nouvelles de nos familles et ont associé leur prière pour eux tous.
Au nom de tous les miens
En ce temps particulier, vous avez des sœurs, des frères, des membres de votre communauté de par le monde... Comment ce virus vous a-t-il offert l'opportunité de vivre une plus grande fraternité avec les membres de votre communauté missionnaire ?
Oui, effectivement, puisque notre association missionnaire est présente dans une quinzaine de pays et dans 4 continents (Amérique Latine, Afrique, Asie et Europe), nous sommes en contact permanent avec nos frères et sœurs qui traversent tous la réalité de la pandémie du covid-19.
C'est le « même coronavirus », mais la situation du covid-19 ne se vit pas de la « même façon » dans tous les pays ! Dans les pays les plus pauvres où nous sommes, par exemple au Pérou, en Argentine, aux Philippines et au Togo, la réalité est autrement dramatique. Un immense dilemme se présente pour ces peuples : choisir entre le risque de sortir du confinement pour travailler, vendre dans les petits marchés et être touchés par le coronavirus ou bien mourir de faim ...
L'autre jour, nos sœurs de Malasiqui (Philippines) nous disaient que depuis cette semaine, il n'y a plus de files devant le grand supermarché... Les plus pauvres de leur quartier n'ont plus d'argent pour acheter de la nourriture là et le riz commence à manquer. Leur évêque, Mgr Soc Villegas a donné des sacs de nourriture à partager avec les familles les plus vulnérables du diocèse. Nos sœurs sont allées distribuer ces sacs à une cinquantaine de familles du quartier. Les gens étaient très touchés, voulaient les inviter à rentrer dans leurs maisons, à s'asseoir un instant en signe de gratitude, mais elles ne pouvaient pas accepter par risque de contagion. Vous imaginez le cœur brisé de nos missionnaires...
Pour moi personnellement, la crise mondiale du covid-19 est un rappel du sens profond de ma vocation missionnaire. « Au nom de tous les miens », ces mots de mon appel ont tout à coup retrouvé toute leur urgence. Pour qui suis-je ici, si loin, si ce n'est « au nom de tous les siens », si ce n'est pour aider chaque personne à découvrir quel est le sens profond de son passage sur cette terre ? Un passage au risque des souffrances, du mal, mais aussi d'une solidarité, d'une fraternité tellement plus authentique entre nous ...
Laurence Vasseur (2ème à partir de la droite) : « Toute la vie est mission ! »
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Créé parDiocèse de Tournai