Une religieuse au milieu des migrants en Sicile
En 2020, Sr Margherita Parolin, salésienne de la Visitation, se trouvait en Sicile aux côtés des migrants. Un an plus tard, elle revient pour nous sur cette expérience.
Je m'appelle Margherita Parolin, je suis religieuse Salésienne de la Visitation. Je suis italienne, immigrée en Belgique à l'âge de 2 ans, avec mes parents. J'ai aujourd'hui 67 ans.
En décembre 2018, j'ai terminé une carrière d'assistante sociale, directrice d'un service privé d'aide à domicile, à Liège. Ma congrégation m'a envoyée en communauté à Ath et m'a proposé de vivre un temps sabbatique, selon ce qui me conviendrait le mieux.
Cela m'a réjoui. Mon désir était vivre une expérience d'aide aux personnes, « sur le terrain », c'est-à-dire en relation directe avec des personnes précarisées. Par ailleurs, la situation des migrants aux portes de notre Europe m'a paru inacceptable, scandaleuse, insupportable, si peu évangélique. Il me semble qu'il y a là un appel à agir, même petitement.
Après plusieurs recherches, de nombreux contacts, des discernements avec les responsables de ma congrégation, le choix était fait et allait pouvoir se concrétiser.
Des communautés au service des migrants
J'ai découvert l'existence des communautés religieuses, intercongrégationnelles et interculturelles, en Sicile. Elles ont été créées par l'UISG (l'Union Internationale des Supérieures Générales). En effet, le Pape François s'est rendu à Lampedusa, en 2013, année de son élection. Il a pu voir la détresse et la situation désastreuse des migrants arrivés aux portes de l'Europe. Cette même année, une catastrophe en mer, au large de cette île a provoqué la mort de 366 migrants clandestins africains... Le Pape a interpellé les chrétiens, leur demandant avec insistance d'aller « aux périphéries » pour rejoindre les personnes éloignées, abandonnées, et prendre des initiatives pour exprimer la compassion de l'Église envers ces personnes dans leur situation de vulnérabilité et d'exclusion. L'UISG a entendu cet appel et l'a relayé aux Congrégations religieuses. C'est ainsi que trois communautés se sont mises en place, avec la collaboration des Églises locales, pour répondre à cette mission.
Cette dernière devait se déployer en fonction de trois axes : accueillir les migrants par des moyens divers, susciter des ponts entre la population locale, sicilienne, et les migrants qui arrivent, passent, partent.... et enfin, témoigner par notre vie en communauté, qu'il est possible de dépasser nos différences, pourtant importantes et de vivre la fraternité.
Normalement, les engagements des Sœurs dans ce projet se font pour une durée minimum de 3 ans....
Un apprentissage avant le départ
Contact est donc pris. Une de mes consœurs, italienne également, se montre intéressée par ce projet. Exceptionnellement, notre souhait d'un temps limité à 3 mois est accepté ! Des circonstances heureuses précipitent notre départ : en effet, les 9 sœurs déjà en place vont suivre une formation de 15 jours, à Rome. Programme très complet et diversifié, avec l'intervention de personnes ressources, qui connaissent la problématique de manière approfondie. Il n'est donc pas question pour nous de ne pas y participer. Ces deux semaines se sont avérées très intéressantes. Elles nous ont appris à mieux comprendre qui sont les migrants, ce qu'ils ont vécu, pourquoi ils sont là. Ce programme nous a offert un aperçu sociologique, historique, législatif, psychologique de cette problématique. Des personnes ont apporté leur propre témoignage.
Cette formation se donnait en italien : je ne le pratiquais plus depuis longtemps et je n'ai pas été scolarisée en italien. Quelle belle occasion de renouer avec ma langue maternelle !
Nous sommes donc parties à deux, à la mi-novembre 2019 pour Rome, et fin novembre pour la Sicile, heureuses de passer à la vie concrète ! Nous y resterons 3 mois, jusque fin février 2020.
Ma consœur vivra à Agrigento, à l'ouest de l'île, et moi, à Caltanissetta, cité du centre de la Sicile. Il semble que des études la désignent comme la plus pauvre d'Italie et je le crois volontiers ! Elle est située à 600 m d'altitude, avec 60000 habitants pour 416 km². Tous les chemins sont en pente ou en escaliers. On y trouve beaucoup de ruelles très étroites où sèche le linge accroché aux balcons. Les voitures y circulent en collant les piétons contre les murs des maisons. Heureusement, les voitures sont souvent petites !!!
Notre communauté de quatre sœurs occupe un appartement au 5ème étage, juste en face de l'église où se trouvent des appartements, des salles, des classes, une cuisine et salle à manger pour le repas social quotidien.
Des journées bien remplies
Mes journées, comme celles des autres membres de la communauté, étaient rythmées par les activités liées à la mission, les besoins de la communauté et la vie liturgique. Nous participions régulièrement à la vie de l'Église locale : Eucharisties, prières liturgiques, processions, événements locaux, etc.... Tous les jours, en communauté, nous priions les laudes et les vêpres. Les tâches domestiques étaient partagées entre nous. Mais ce qui guidait le déroulement de nos journées était les engagements de chacune. Pour ma part, j'ai pu participer à l'« école » en prenant en charge individuellement des migrants qui pratiquaient le français, pour leur apprendre des notions de base en italien. Individuellement aussi, j'ai accompagné d'autres personnes qui n'arrivaient pas à suivre les apprentissages du groupe. Par ailleurs, plusieurs fois par semaine, je recevais une femme, mère de famille, marocaine, qui avait déjà eu le temps d'apprendre à parler couramment l'italien, mais ne savait ni lire ni écrire, ni l'arabe ni l'italien.... Elle s'appliquait difficilement à dessiner les lettres... à déchiffrer les messages téléphoniques reçus de la part de l'école de ses enfants.... Tout cela occupait beaucoup de temps. Il y avait aussi l'école des devoirs pour des enfants et adolescents, dont des jeunes filles musulmanes, gênées lorsqu'elles se trouvaient en présence de garçons.
L'apprentissage est long, il demande beaucoup de patience mais des petits progrès sont visibles.... si le regard se fait positif....
Un jour, la sœur responsable de l'école vient me trouver et me dit : peux-tu t'occuper d'un somalien qui vient d'arriver ? Il ne parle pas le français mais doit apprendre l'italien en commençant par les B.A.BA... Je me trouve donc avec un jeune homme, 3 mots d'anglais et le somalien hésitant. Moi, 2 mots d'anglais et un italien basique.... et...nos deux smartphones pour traduire. Nous avons fait un bout de chemin ensemble durant 2h. En tout cas, le somalien m'est devenu moins étranger ! Et lui avait l'impression de savoir déjà quelques mots d'italien.... Les sœurs m'ont dit que c'était comme cela à la Pentecôte !
Des parcours difficiles
Peu de choses ont été échangées quant à leur pays, leur traversée, le commerce de l'ombre des passeurs... Je sais peu de choses de tout cela, si ce n'est que, pour pouvoir aider, il faut être discret, accepter de ne pas savoir, écouter même les mensonges, mais être là avec eux. Ces garçons et filles sont à l'affût de possibilités de travail, donc de départ, souvent vers le Nord. Ils n'ont rien à perdre. Ils doivent rembourser des dettes au pays, dettes consenties pour permettre leur fuite.... Quel drame, quelle honte, quel échec s'ils devaient rentrer de force et les mains vides ! Leur vie est rythmée par les convocations à la Commission.
Pourquoi prendre tant de risques ? Certains nous ont confié que ce sont la guerre et les oppositions politiques qui les ont mis en danger chez eux. D'autres ont vécu des conflits familiaux, de clans et risquent d'être tués. Je pense à ce garçon de 25 ans, il avait les larmes aux yeux dès qu'on parlait de maladies. Il pensait à sa maman, souffrante et restée au pays....
Des souvenirs inoubliables
Une fois par semaine, je participais à l'équipe de préparation du repas pour des personnes démunies : la paroisse organise quotidiennement cet accueil pour quelques 25 personnes de la ville qui éprouvent des difficultés à se nourrir.
Une autre matinée par semaine, je la consacrais à l'organisme diocésain d'aide sociale, Caritas. J'y ai rendu quelques services comme le tri de vêtements de seconde main, l'accueil de quelques migrants parlant le français pour la constitution de leur dossier, ...
Le 24 janvier 2020, nous avons vécu un bel événement : une jeune femme nigériane a accouché d'une petite fille du nom de Favour... pour elle, les sœurs sont comme des grands-mères.... des personnes de la paroisse, comme parrains et marraines qui entourent le couple et le bébé d'attentions pour que personne ne manque de rien. Le jour de l'épiphanie, on bénit les enfants et la famille était là avec Favour qui dormait paisiblement. Dans une autre famille, un garçon était attendu... Il s'appellera Emmanuel !!!!
Durant mon séjour, j'ai eu la chance de vivre plusieurs rencontres de formation, pour les chrétiens ou pour les religieux, à des occasions diverses, mais toutes avaient un réel intérêt quant aux contenus, aux rencontres de personnalités, et aussi quant à la découverte des mentalités et des réalités siciliennes si étrangères pour moi !
Avec les communautés de Caltanissetta et d'Agrigento, et les religieux de Sicile, nous avons vécu une très belle session de deux jours à Palerme. Le sujet, décliné de plusieurs manières et avec beaucoup d'intensité : "La joie du oui pour toujours". Entre autre, un groupe de jeunes, dont certains ont partagé leur parcours de vie déjà très chaotique, ont présenté un très beau spectacle biblique. Deux jours très riches... Ma consœur et moi avons prolongé notre séjour pour visiter un peu cette belle ville et pique-niquer au bord de la mer.... sous un soleil déjà bien chaud...!
Voici le temps des adieux...
Le 9 mars 2020, c'est le retour en Belgique : je me sens triste de terminer cette étape et si heureuse de rentrer à la maison et de revoir tous ceux et celles qui me sont chers. ... et pourtant je ne les verrai pas de sitôt ! La Covid en a décidé autrement !!!
Après un voyage difficile, fait d'imprévus, j'ai une quarantaine qui m'attend....
Et la suite, vous la connaissez !!!!
Je garde des contacts très cordiaux avec certaines personnes de mon séjour en Sicile. Mais le temps et le virus font que cela s'estompe petit à petit. Mon élève marocaine m'envoie des messages oraux sur WhatsApp.
Ces quatre mois m'ont fait expérimenter quelque chose de neuf dans la réalité des migrants mais aussi dans la mentalité sicilienne. Ce temps est pour moi, un temps de grâce et une grande chance. Ce que j'ai pu faire n'a rien d'extraordinaire et rien qui ne puisse se vivre chez nous, avec les personnes qui viennent en Belgique ou qui y passent. Il faut seulement trouver les moyens et les lieux. Et puis construire des relations humaines simples et vraies et s'engager.
Sr Margherita Parolin
-
Créé parDiocèse de Tournai
-
Tags